La leçon de politique des femmes

| Artikel erschienen in Le Temps

La leçon de politique des femmes

Un demi-siècle après avoir obtenu le droit de vote et d’éligibilité, 246 représentantes de toutes les régions ont pris place au Conseil national pour une Session des femmes. Elles ont envoyé un signal fort au parlement institutionnel

MICHEL GUILLAUME

Elle rayonne, Olga Madjinodji. Cette spécialiste en intégration au service de la ville de Bienne ne boude pas son plaisir d’avoir participé à la Session des femmes organisée à l’occasion du cinquantenaire du suffrage féminin en Suisse. «J’ai eu l’impression d’écrire l’histoire », témoigne-t-elle. Au terme de quelque 80 votations, les 246 élues ont approuvé une vingtaine de revendications, esquissant une Suisse plus inclusive et solidaire. Requérante d’asile, titulaire d’un permis B, puis C, Suissesse aujourd’hui. «J’ai eu tous les statuts dans ce pays», énumère Olga Madjinodji, ajoutant: «Je fais partie de son histoire, même si j’ai un background migratoire.» Vendredi dernier, la jeune femme racontait cela lors du débat sur le droit de vote aux «habitantes sans passeport suisse», dès lors qu’ils résident en Suisse depuis cinq ans. Cette revendication, que les observateurs considèrent comme «révolutionnaire» tant elle paraît irréaliste politiquement, est apparue comme une évidence à l’assemblée qui l’a approuvée massivement.

Diverse et plurielle

Lors de cette session la Biennoise, comme beaucoup d’autres, a incarné une Suisse diverse et plurielle. A vrai dire, les femmes ont donné une belle leçon de politique au parlement institutionnel, celui qui a été élu en octobre 2019 par le peuple. Les débats ont été marqués par un respect, une faculté d’écoute et l’absence de toute attaque personnelle qui ont frappé les observateurs. «C’est la politisation des femmes la plus forte à laquelle j’assiste depuis celle de mai 1968», se réjouit pour sa part Cécile Bühlmann, âgée aujourd’hui de 72 ans, qui a siégé dans ce parlement de 1991 à 2005 dans les rangs des Vertes. Il y a d’abord eu le mouvement international #MeToo. Mais aussi, au niveau suisse, le film L’Ordre divin, de Petra Volpe, et la grève des femmes du 14 juin 2019. Ce jour-là, des dizaines de milliers de femmes en colère avaient manifesté devant le Palais fédéral en brandissant de nombreuses banderoles.
Deux ans plus tard, une partie d’entre elles ont pénétré dans cette enceinte du pouvoir. Elles ont troqué leurs slogans contre un catalogue de revendications concrètes, prêtes à se mobiliser sur un plan institutionnel. «Ce plaisir de débattre et de s’engager, je n’avais jamais vécu une telle ferveur dans la salle», relève Isabelle Moret (PLR/VD), qui a dirigé une partie de la session. Après avoir siégé dans huit commissions précédant la session, les femmes qui se sont exprimées à la tribune ont fait preuve d’une remarquable connaissance des dossiers, malgré leur relative inexpérience de la politique.

Une nouvelle génération de politiciennes

Cette nouvelle génération de politiciennes est aussi prête à labourer tout le terrain de la politique. «Jusqu’à présent, les femmes se sont attaquées à des thèmes classiques comme les inégalités salariales, le social et la santé. Désormais, elles revendiquent l’égalité dans tous les domaines, que ce soit dans la science, l’économie numérique ou la médecine», note de son côté Carine Carvalho, cheffe du de Lausanne.
Ainsi, Malvine Moulin, gestionnaire en tourisme et députée PDC au Grand Conseil valaisan, s’est battue avec succès pour la promotion des femmes dans les professions MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique), afin qu’elles y soient représentées à 50% d’ici à 2030. Pour elle, l’événement a été l’occasion de réseauter à tous les échelons. Vendredi soir, toutes les Valaisannes se sont retrouvées au restaurant Kornhauskeller. «Nous allons voir ce que nous pouvons faire de ces propositions au niveau cantonal aussi», déclare-t-elle. Fonds d’infrastructure pour les crèches et l’accueil extra-familial des enfants, égalité devant la retraite, mise sur pied d’un programme national de médecine axée sur le genre, programme d’action pour la protection contre les violences faites aux femmes doté de 700 millions par an: que va-t-il advenir de toutes ces revendications? Samedi, elles ont été transmises aux bureaux du Conseil national et du Conseil des Etats. «Cette session envoie un signal fort au parlement et à la société en général, de même qu’elle donne une grande impulsion au combat pour l’égalité», résume Kathrin Bertschy, coprésidente de la faîtière des organisations féminines Alliance F.

Cécile Bühlmann, elle, s’avoue à moitié rassurée: «Nous devons encore faire la révolution dans nos têtes. Dans les couples, les enfants prennent le nom du mari dans 80% des cas. Mais au moins, je peux prendre définitivement ma retraite politique. La relève des femmes est assurée.»

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